La Fonction Publique est en danger. Et c’est elle qui fait exister la collectivité citoyenne et l’associe à la responsabilité politique des élus. Aussi, pour avoir été élu, un gouvernement est justement responsable devant tous les citoyens des choix de société qu’il fait. Or, cette responsabilité, issue des urnes, le gouvernement Macron, avec son Exécutif plutôt brutal et psychorigide, ne l’assume que pour se donner les moyens de ne plus en répondre, de s’en défaire. Il se dit « pragmatique », il est « libéral » : on comprend bien ; il passe la main aux lobbies qui décidément n’ont pas encore les mains assez « libres ». Il abandonne les prérogatives des services de l’État aux caprices des marchés de la concurrence et du profit. Il préfère donc livrer les citoyens, dès le plus jeune âge, dès l’école, aux inconséquences et aux précarités que le libéralisme, dans son jargon, veut faire passer pour on ne sait quelle « modernisation », dans un monde où la performance (ou « le système D ») va assurer le bonheur de chacun grâce à une main invisible. On préfère la main visible de l’Etat à la main invisible des marchés – notamment pour l’avenir de nos enfants.
Tout cela pourrait passer pour un progrès sauf qu’on retrouve là toute l’idéologie du 19e siècle « libéral », celui de Thiers et Guizot par exemple. Une idéologie fondée sur des instincts primaires qu’elle exacerbe*, qui produit elle-même les périls et les crises qu’elle prétend vouloir ensuite résoudre… mais en allant encore plus loin dans sa seule logique. On dirait une pathologie.
La Fonction Publique est adaptée à des enjeux sociaux d’envergure. Elle a pour vocation de réduire l’impact et la persistance des cloisonnements sociologiques (Ecole), des individualismes, des inégalités et de l’arbitraire des droits (notamment sur le marché de l’emploi). Économiquement, par exemple, sans la répartition du coût de l’enseignement sur l’ensemble des contribuables, ce coût serait tout simplement insurmontable individuellement pour la grande majorité des familles.
En dépit de tous les faux sens du vocabulaire libéral, si l’accessibilité des services publics obéissait à des mécanismes de marchés, elle ne couvrirait pas le pays de manière raisonnée, dans le but d’être équitable. Les mécanismes du marché ne collent pas avec les impératifs d’une politique qui doit se consacrer aux besoins des citoyens selon une vue d’ensemble cohérente, sécurisante et durable.
Faire croire le contraire, c’est soit par ignorance, soit pour servir l’idéologie de ceux qui profitent le plus de la ruine organisée des Services Publics de l’État. Regardons en direction de ceux et celles qui actuellement se félicitent de cette politique… Non, le gouvernement Macron n’est pas au service de l’Etat et de la majorité des citoyens.
Engager un processus de déconstruction des services publics vers un système marchand de concurrences, de précarité des emplois, et de réduction à un impératif de « profit », c’est le programme d’un « libéralisme » (dépassé, mais tenace) qui épuise les ressources tant naturelles qu’humaines.
On nous parle de cette Fonction Publique qui coûte trop cher, mais il est devenu difficile de croire encore aux raisons d’impératifs économiques quand on sait à quel point l’économie qu’on nous vante avec une mauvaise foi décomplexée est immorale et surtout réduite aux bénéfices d’une minorité qui assure sa pérennité.
A qui profite en fin de compte la déréglementation, la précarisation des statuts, le démantèlement de la Fonction Publique ? Nous n’avons pas du tout affaire à une modernisation, une amélioration des services aux citoyens. Il s’agit là d’obéir à un certain plan, et cela n’a rien de fatal ni même de « naturel », ou « normal ».
*Pour passer un joyeux moment, (re)lire cette œuvre sublime d’Adolphe Thiers : « De la propriété » (1848)