Le Président Macron a initié à Rodez le 3 octobre sa tournée d’explication, concernant la contre-réforme annoncée des retraites, reprenant le modèle de ses sorties lors du « grand débat » du printemps 2019, suscitant alors les applaudissements d’une clique médiatique aux ordres, étourdie devant tant d’aisance, de courage, de maîtrise.
Devant un parterre choisi et en réponse à des questions calibrée, sans jamais aucune controverse, le président peut tranquillement dérouler les points de son argumentaire, saouler de paroles un auditoire qui s’ennuie assez vite et affirmer tout et n’importe quoi sans qu’aucun journaliste ou expert n’y trouve à redire.
Soit. Mais attardons-nous sur ce qui a été dit concernant les enseignant(e)s et leur retraite par le Président ce soir-là à Rodez.
D’abord, le président balaie d’un revers de main une de ses précédentes annonces concernant la revalorisation des salaires des enseignants.
Avec élégance : « Si je revalorisais, comme je veux le faire, l’ensemble des enseignants... quand on parle de l’Éducation nationale dans notre pays, on parle d’un million de fonctionnaires. C’est le premier employeur du pays. Si je voulais revaloriser comme ça, c’est dix milliards ! Je vais pas mettre dix milliards demain ! C’est vos impôts, hein ! Ou c’est le déficit, c’est la dette pour nos enfants. »
Passons sur les cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grosses entreprises qui se chiffrent par dizaines de milliards (on a les priorités que l’on peut) et faisons un simple calcul : une augmentation de 250 euros des salaires des enseignants (qui ont perdu plus de 20 %de pouvoir d’achat depuis 2000...) coûterait à l’Etat moins de 400 millions d’euros par an ! On est loin des 10 milliards, mais peu importe la réalité pour les bateleurs, l’essentiel est de sidérer les spectateurs.
Mais ce n’est là que peccadille par rapport à ce qui suit.
Le Président, censé évoquer les retraites des enseignants, part dans un délire total. Pour lui, les enseignants partent à la retraite quasiment au minimum vieillesse :
« On est entre 1.000 et 1.200, en moyenne, je pense
que je ne suis pas loin de la réalité. »...
Murmures dans la salle, JP Delevoye fait passer en urgence une note avec les chiffres du Ministère (2600 euros en moyenne ;
en réalité, aujourd’hui la retraite moyenne des enseignants, selon Le bilan social, une publication du ministère, s’établit à 2380 € par mois).
Mais un bon bateleur ne se démonte pas : il cherche une issue et la trouve miraculeusement :
« A mon avis, 2.600, il faudra me dire comment on les retrouve. Mais moi je pense que, à mes 1.200, je ne suis pas dans le faux. (Une personne dans le public donne des explications inaudibles, le président l’écoute) Ah ! 1.140 euros. Vous étiez enseignante ? Donc je ne suis pas dans le faux. Madame était enseignante, elle est à 1.140.
Bon ! Ça me rassure. Donc, quand je vous disais 1.200 euros, j’étais pas dans le délire. »
Qui dit mieux ? Lui, qui poursuit : « Et quand je regarde le salaire de fin de carrière des professeurs, il y a beaucoup de variation, mais quand je vous dis que je suis autour de 1.100, 1.200 euros, je pense que je suis pas complètement déconnant. »
Et bien si, Monsieur le Président, vous êtes complètement déconnant, vous n’avez aucune idée de ce que peut représenter une retraite ou un salaire de mille euros, vous n’avez aucune idée des salaires certes insuffisants mais bien réels des enseignants comme de leur pension.
Pire, vous continuez : « vous me disiez « 1.200 euros, j’y crois pas du tout », ça montre bien que notre système actuel il n’est même pas lisible pour les actifs qui sont fonctionnaires et qui devraient pouvoir, dans une carrière où vous n’êtes pas licenciable et donc vous, vous devriez pouvoir calculer votre retraite, ça veut dire qu’un enseignant aujourd’hui de la fonction publique d’État, il sait pas calculer sa retraite, et il a peur. »
Monsieur le Président ! Aujourd’hui, un enseignant peut parfaitement savoir à quel niveau de pension il pourra partir à la retraite, tout le contraire justement du système que vous prétendez mettre en place.
A partir de ses prémisses fausses, vous passerez ensuite au gros de votre volonté, en sus de casser les retraites : changer le travail des enseignants et sous couvert de quelques formules à la mode concernant les RH et la gestion de la carrière (sans un mot pour notre collègue Christine Renon tuée au travail), vous pouvez conclure : il faut repenser la carrière, questionner le temps de travail, les vacances... Et voilà, la boucle est bouclée : réduire les pensions, augmenter le temps de travail, tout un programme !
Que vous défendiez, Monsieur le Président un projet rétrograde qui vise à casser les retraites par répartition et les statuts des enseignants fondés au lendemain de la seconde guerre mondiale sur les bases d’un programme du CNR mettant en tête de ses préoccupations la solidarité et l’œuvre collective, c’est votre droit (comme c’est le nôtre de vous combattre).
Mais que vous puissiez raconter n’importe quoi, « déconner », comme vous dites, aussi ouvertement devant des citoyens pose un grave problème démocratique.
Et en tant qu’enseignant(e)s, nous sommes inquiet(e)s de l’exemple que vous donnez à la jeunesse.