La mobilisation des enseignants sur la fin de l’année scolaire 2019 n’aura guère fait fléchir le Ministre de l’Éducation avec sa cohorte de réformes. Pourtant, en cette nouvelle rentrée scolaire, ce qui est envisagé sur le lycée doit être la source de toute l’attention des enseignants et malheureusement la source de toutes nos inquiétudes. Loin d’avoir simplifié l’organisation générale du baccalauréat comme le prétend le Ministre, les réformes lancées pour le lycée augmenteront les inégalités sociales, la concurrence entre les établissements, les difficultés scolaires des élèves, et réduiront des choix d’orientation. A ces problèmes majeurs s’ajouteront de nombreuses difficultés pour les enseignants, tant au niveau des moyens matériels, de la charge de travail que des échéances d’un calendrier intenable.
Le calendrier impossible :
Les nouvelles Épreuves Communes du Contrôle Continu (les E3C qui représentent 30 % de la note obtenue sur les 40 % du contrôle continu) s’avèrent être une des premières absurdités des réformes Blanquer.
Deux E3C seront donc organisées sur l’année de Première et une sur l’année de Terminale. C’est l’organisation de cette dernière qui soulève le plus d’inquiétudes puisque le Ministère envisage de la mettre en place dans le courant du mois de mars. On l’aura compris : le programme des disciplines de spécialité concernées doit être bouclé fin février. Les impératifs qu’on invoque en haut lieu font état de la nécessité d’intégrer les résultats de ces épreuves dans Parcoursup. Certes.
Outre la gageure que représente l’achèvement des programmes dans une période aussi restreinte, on peut craindre de nombreuses perturbations : des cours suspendus et une charge accrue de travail pour les enseignants qui seront mobilisés non seulement pour la tenue des épreuves mais aussi pour les corrections qui doivent se faire avec une harmonisation. Puisque le second trimestre des élèves de terminale sera quasiment consacré aux examens, le temps consacré aux enseignements sera bien sûr considérablement réduit… Cela signifie aussi que les enseignants devront avancer au même rythme afin de pouvoir organiser ces épreuves communes.
On comprend donc que le lycée se veut dorénavant un lieu de bachotage permanent et non le lieu d’une éducation de qualité dispensée en classe.
Un réel choix des spécialités pour les élèves ?
L’exemple des mathématiques au lycée est révélateur de toute l’injustice des réformes ministérielles. Selon un sondage réalisé par L’Étudiant, 62 % des élèves choisiraient la spécialité mathématiques en seconde. Les mathématiques vont alors prendre une importance prépondérante dans la nouvelle réforme. Ainsi, à titre d’exemple, elles sont considérées comme « incontournables » pour accéder aux Classes Préparatoires aux Grandes Écoles.
En effet, les formations post-baccalauréat ont publié leurs recommandations et celles-ci démentent l’idée d’un parcours varié alors même que le Ministre considère quant à lui que le choix des spécialités ne risque pas d’enfermer les élèves dans des parcours imposés suite au baccalauréat !
Les mathématiques ne sont plus obligatoires à partir de la première et dès lors que les programmes ont nettement élevé le niveau de la discipline, on comprend qu’il n’y aura plus de place en mathématiques pour des élèves au niveau scolaire modeste. Le risque de voir des élèves abandonner les mathématiques est donc un piège puisque les attendus de la quasi totalité des formations supérieures longues les considèrent comme incontournables (c’est le cas également de la psychologie).
Des nouveaux programmes inquiétants :
En parallèle, les difficultés avérées dans les nouveaux programmes se sont multipliées. La liste des inquiétudes que soulèvent l’écriture des nouveaux programmes est longue. On peut retenir comme premier exemple malheureux la difficulté du sujet « contraction-essai » en français pour la classe de Première Technologique (une difficulté accrue par le nombre de lectures). On retiendra aussi : des contenus élitistes en histoire-géographie géopolitique et sciences politiques ; des options artistiques en danger à terme (puisque leur subsistance est liée à un financement qui ne sera plus assuré) ; les objectifs vagues de la formation en sciences numériques et technologie ; etc.
La mobilisation des enseignants contre les réformes Blanquer doit donc aussi se faire (et peut encore se faire) autour de la conception des programmes, inepte, des programmes conçus sans réelle concertation. Les choix éducatifs de ces programmes conçus à la va-vite, sont donc contestables.
Une question d’inégalités :
Les enseignants ont pris conscience des problèmes sous-jacents liés à l’organisation par spécialités des établissements lorsque la DGESCO a rédigé une note de service montrant que les affectations sont contraintes par les capacités d’accueil locales puisque le proviseur : « ouvre des groupes dans la limite de ses contraintes d’organisation ».
Comment un élève peut-il alors savoir où poursuivre ses études après la troisième ? Les prétentions des élèves seront d’abord conditionnées par leurs résultats scolaires puisque dans la situation où le nombre de demandes excède le nombre de places, les conseils de classe départagent les élèves selon leurs résultats (sans qu’il soit envisagé un possible recours des familles). Le conseil de classe peut donc prononcer un refus d’inscription dans une spécialité sur les critères des résultats scolaires.
Les élèves devront ensuite découvrir que tous les lycées ne proposent pas toutes les spécialités. Seules sept d’entre elles, sur douze, sont assurées d’être présentes au minimum au sein d’un bassin de formation. Le lycée ancienne formule n’était sûrement pas parfait, mais au moins garantissait-il une offre de formation homogène sur l’ensemble du territoire. Le lycée version Blanquer, tout en déstabilisant l’organisation des établissements et des enseignements, ne permet plus une telle garantie. La note de service du 5 septembre 2018 est plutôt claire sur ce point : « Ces enseignements de spécialité doivent pouvoir être accessibles dans un périmètre raisonnable. Dans le cas d’un établissement isolé, l’enseignement de spécialité non présent dans l’établissement est assuré par le biais du CNED. Deux établissements voisins peuvent au moyen d’une convention organiser collectivement l’offre des enseignements de spécialité. » Alors que certains élèves parviendront à suivre l’intégralité de leur formation dans un même lycée, certains autres devront recourir à l’enseignement à distance ce qui produit donc des inégalités profondes.
On peut également s’attrister à l’avance de l’état d’esprit des élèves se retrouvant face à la concurrence que se livrent certains établissement obligés de se rendre « attractifs » s’ils veulent conserver leurs moyens. Et ajoutons enfin que les nouvelles modalités des examens renforcent encore plus les inégalités puisque les E3C passés dans certains établissements risquent de ne pas avoir la même valeur que ceux des élèves qui les auront passés dans des établissement bénéficiant injustement d’une meilleure image…
Le Ministre a donc choisi de faire passer ses réformes en force, sans entendre la colère des enseignants, une colère pourtant juste et fondée sur la défense de la liberté de choisir son orientation pour des élèves et l’égalité des chances. Pour cette nouvelle année scolaire, les enseignants devront garder à l’esprit ces impératifs tout en continuant à lutter pour la défense des élèves et de notre profession. L’organisation extrêmement complexe des E3C, une organisation influencée par les impératifs de Parcoursup, doit aussi nous alarmer. L’enseignant découvrira malheureusement in vivo le chaos des réformes actuelles et cette découverte se fera aux dépens de la qualité de son enseignement, aux dépens des élèves qui subiront donc toute l’injustice des nouveaux programmes et de l’organisation nouvelle de leur parcours scolaire.