24 septembre 2020

Actualités

Lycées : disparition d’options et de spécialités. Pourquoi ? Vers quoi ?

La volonté du Ministère de l’Éducation de transformer nos Chefs d’Établissements en managers montre clairement ses effets.

Ainsi en a-t-il été avec un proviseur, dans l’Oise, lors de la prérentrée : « je vous présente deux tableaux : sur celui-ci vous pourrez observer les taux de fréquentation de nos options l’année dernière. Sur cet autre tableau on voit clairement quelles spécialités ont été le plus abandonnées par les élèves lors du passage en Terminale ».
Pour rappel, avec la réforme du lycée, il est maintenant demandé aux élèves de se spécialiser dans trois disciplines en Première et deux en Terminale (et donc d’en abandonner une).
Un enseignant intrigué réagit : « Ces tableaux ne pointeraient-ils du doigt les disciplines les moins rentables, en menaçant indirectement les collègues des disciplines concernées ? »
Le Proviseur de répondre : « Nous avons fait des choix lors de nos derniers Conseils d’Administration : maintenir telle ou telle option. Il en a été de même des spécialités. Il ne faut pas se leurrer : ces choix ont un coût et vous les avez décidés ».
Silence dans la salle... Quelques rires discrets dans l’assemblée, mais sérieux malaise. C’est la concrétisation de ce que tous craignaient lors de la mise en œuvre des « spécialités ».

Une mise en compétition et une forme d’aliénation des enseignants.

La parole de la direction est claire : « nous n’aurons vraisemblablement pas assez de moyens pour faire survivre des options ou spécialités que nos élèves dédaignent ». Certaines options ou spécialités vont survivre puisque le taux de fréquentation est bon et la rentabilité de la discipline est honnête. Mais, on sait depuis longtemps que les langues anciennes vivent dans l’angoisse permanente de leur disparition. Et elles furent rudement stigmatisées lors de cette réunion. Sous couvert d’une démocratisation de l’enseignement on a pu voir le Gouvernement peiner à mobiliser des moyens dans les disciplines des langues anciennes : « Trop élitistes ; vaines et dépassées ; obligeant la création de classes à l’allure de ghettos renversés ».

Un système concurrentiel qui dénature les apprentissages.

« Vous allez disparaître si vous ne réagissez pas ! » Mais, quelle serait la réaction appropriée de la part des collègues incriminés ? L’enseignant, perdu, devra-t-il trouver de nouvelles façons d’enseigner ? S’agit-il pour lui de se remettre en question puisque sa discipline n’attire pas ? Comment convaincre des lycéens devant la complexité de telle ou telle spécialité ? On va leur parler de se former, se « mettre à niveau », de « changer de postures », de se réformer, se déformer*. La logique des marchés au cœur des savoirs et de l’éducation. Et pour l’enseignant : culpabilisation sur de faux arguments pédagogiques, sur de la rentabilité, confiscation de son métier, de son expertise. Le « bon savoir » sera le savoir le plus vendable. Tour de force d’une récupération idéologique : le « bien des élèves » est au centre de la doctrine marchande, leurs apprentissages devenus un ressort d’un management qui veut s’imposer définitivement.
Un nouveau Lycée de la régression sociale.
En tête des spécialités choisies on retrouve les sciences (Mais attention ! Elles peuvent être jugées trop complexes !) A l’opposé, les options parmi les moins choisies sont les LLCA (Grec et Latin). Tandis que d’autres spécialités souffrent d’un écart entre les attentes des élèves et les réalités de la discipline (Humanités par exemple).
Les élèves déjà perdus dès la fin de la seconde dans le choix des spécialités doivent en abandonner une sur des critères trop souvent aléatoires, superficiels, contingents, qui échappent à l’expertise du pédagogue, c’est-à-dire, de l’enseignant.
On prétend vouloir éviter l’élitisme de certaines spécialités, mais elles ne disparaîtront pas partout : à l’échelle d’une ville les bouleversements ne pourraient-ils pas être notables si un établissement est le seul à maintenir des spécialités dites « élitistes » que viendront chercher les élèves les plus favorisés ? L’inégalité entre les lycées pour entériner l’inégalité sociale. Une régression qui remodèlerait notre société dès l’école dont l’ambition égalitaire et les vertus émancipatrices dérangent... Dérangent qui ?

La machine est lancée et le Ministère se dégage de toute responsabilité : toutes ces décisions, devenant purement comptables, ont été actées à l’intérieur des établissements. Autonomie !


* Conseil de lecture : La Comédie humaine du travail, Danièle Linhart, Erès, 2015.